THEME DE L’ANNEE 2017/18 : HABITER LE TEMPS

Le temps, n’est-ce pas ce qui marque le plus radicalement et parfois aussi le plus tragiquement notre condition humaine ? Car tout moment est voué à prendre fin et il y a dans le temps un moment où nous-même devons finir. Mieux vivre notre temps est une quête que nous poursuivons tous. Cependant il ne s’agit pas seulement de mieux le « gérer » mais de tenter de lui donner une autre qualité, une autre densité, un autre sens. « La machine ronde » de nos vies tourne si vite qu’elle peut risquer de faire de nous des « hommes essorés ». Mieux vivre, en évitant d’être « asséché de soi », tel est l’enjeu. Mais ne rêvons pas, il n’existe pas de machine à remonter ou à ralentir le temps. Le temps n’est pas un ingrédient extérieur à soi, il ne se maîtrise qu’en se maîtrisant soi-même. C’est pourquoi il nous faut trouver en nous-mêmes des ressources qui nous permettent d’habiter notre temps.
Le temps est l’élément dans lequel se déploie notre action, ce qui rend possible que surgissent des événements et que s’inventent nos libertés. La pensée des Lumières a mis en perspective cette réalité de la temporalité comprise comme une chance pour l’activité humaine de se conquérir elle-même et de s’inventer en se perfectionnant. Mais l’avènement de la Modernité a également mis au jour l’idée d’un temps compté et la réalité d’un temps contraint. De l’allié qu’il était le temps est devenu un obstacle à réduire. Ainsi avons-nous appris, dans presque toutes les sphères de la société et de l’existence, à gagner du temps plutôt qu’à compter sur lui.

Pourtant, comme le dit un proverbe chinois : « Neuf femmes ne peuvent pas faire un bébé en un mois ». Que perdons-nous peut-être à vouloir toujours gagner du temps ? N’est-ce pas alors le temps de la pensée, de l’intériorité, le temps de la création de soi et les conditions d’une activité qui se renouvelle et nous renouvelle véritablement que nous sacrifions alors à l’application de modèles dans l’impératif de l’urgence ? Et si le problème n’était pas seulement celui de la quantité du temps mais bien celui de sa qualité ? Apprendre à prendre du temps certes mais tenter d’abord d’en comprendre le bénéfice, pour respecter la variété et la « concordance des temps ». Tel est le motif d’une réflexion sur le temps, qui commande moins des techniques et des recettes qu’une sorte de ressaisissement de soi vers lequel elle fait signe et auquel la tradition philosophique nous invite et peut nous aider. Nos vieilles humanités auraient alors une insigne actualité, un pouvoir novateur, un effet salutaire peut-être : humaniser le temps, notre rapport au temps.